L’ancrage local et la formation, les priorités d’Océole

17 Mai 2022
Industrie
Ken Ilacqua, responsable éolien offshore chez Q ENERGY et Alexis Darquin, chef de projet éolien offshore chez Equinor.

Océole fait partie des dix 10 candidats présélectionnés dans le cadre de l’appel d’offres éolien en mer flottant au large de la Bretagne Sud. Ce partenariat regroupe trois experts mondiaux des énergies renouvelables : Q ENERGY, Equinor et Green Giraffe.  Alexis Darquin, chef de projet éolien offshore chez Equinor et Ken Ilacqua, responsable éolien offshore chez Q ENERGY, expliquent leur vision de la filière et du projet et la façon dont ils l’abordent.

 

Pouvez-vous présenter votre partenariat et ce qui fait sa force par rapport aux autres candidats présélectionnés ?

Alexis Darquin : Notre candidature est supportée par un partenariat exclusif entre trois entités : Equinor, Green Giraffe et Q ENERGY. Énergéticien norvégien depuis cinq décennies, Equinor est présent en France depuis plus de 20 ans, en tant que principal fournisseur de gaz naturel. À la même époque, fort de notre savoir-faire sur les opérations marines, nous avons conçu, dès 2009, un démonstrateur d’éolienne flottante que nous avons confié depuis au Norwegian offshore wind cluster comme outil pédagogique et de recherche. Aujourd’hui, nous sommes leaders dans l’éolien flottant avec un parc en activité au large de l’Ecosse depuis cinq ans, Hywind Scotland. Et nous allons mettre en service à l’automne la plus grande ferme flottante au monde (88 MW), Hywind Tampen en Mer du Nord. Notre partenaire Green Giraffe est un leader mondial du conseil financier dans les énergies renouvelables et notamment l’éolien offshore.

 

Ken Ilacqua : La force de nos trois entités est un partenariat gagnant car il regroupe la compétence technique et offshore d’Equinor, la compétence financière de Green Giraffe et celle de Q ENERGY, un des développeurs historiques d’énergies renouvelables en France – avec 1,5 gigawatts développés sur le territoire ainsi qu’une dizaine de gigawatts en projet en Europe (solaire, éolien terrestre et offshore confondus).

 

 

Quel est selon vous le principal défi à relever pour la construction du premier parc commercial flottant ?

K. I : Le principal défi à mon sens est la constitution d’un tissu industriel pour assurer l’émergence d’une filière éolienne flottante en France, et spécifiquement en Bretagne et Pays de la Loire. L’autre défi, c’est la structuration de la formation. Pour avoir un tissu industriel performant, il faut former les gens. Il est donc indispensable d’identifier dès à présent les formations nécessaires. On pense en effet souvent aux techniciens de maintenance offshore, mais moins aux soudeurs, qui est un métier en forte tension. Les soudeurs avec la qualification marine sont très rares.

 

A.D : La structuration de la chaîne de valeur est en effet une priorité. Construire des usines est relativement facile, en revanche la construction d’infrastructures requiert plus de temps et de parties prenantes. Indépendamment des acteurs industriels privés, il faut souvent impliquer les autorités nationales et régionales. Cela nécessite de la concertation et des moyens financiers, mais la base reste l’humain. Il faut donc commencer par la formation. L’éolien offshore est une opportunité de réindustrialisation de la France : c’est la seule industrie, à ma connaissance, à être capable de créer des dizaines de milliers d’emplois demain en France.

 

 

Quels sont selon vous les points forts et les points faibles de la filière française de l’éolien en mer ?

A.D : La France a été un des premiers pays à prévoir dans sa Programmation pluriannuelle de l’énergie un plan pour l’éolien flottant, ce qui place le pays dans le top 5 des pays qui ont l’opportunité de développer cette filière. Le pacte qui a été signé entre la filière et les autorités a pour objectif de doubler les objectifs de la PPE précédente. Cela offre des perspectives réelles. Toutefois, il y a des sujets d’inquiétude liés à la taille des premiers appels d’offres pouvant être considérés comme petits face aux projets d’éoliennes posées. Il faut un volume minimum pour structurer la filière.

Dans le même temps, il y a un risque de creux d’activité entre les premiers appels d’offres et ceux à venir. Certains acteurs qui ont déjà fini leur mission n’ont pas de visibilité d’ici 2024-2025. Cette discontinuité peut s’avérer problématique à la structuration de la filière.

 

K.I : Il conviendrait en effet que l’État s’assure de la continuité des appels d’offres pour garantir la continuité de la filière industrielle. Dans l’éolien terrestre, on a une puissance installée importante de l’ordre de 18 GW. Pour autant la discontinuité de la réglementation a eu des impacts sur le développement de la filière industrielle. La France se positionne en leader dans l’éolien flottant et c’est très bien ! Mais il faut que le rythme des appels d’offres (et ainsi des projets) permette d’assurer le business plan des industriels qui investissent dans les usines d’éoliennes, de flotteurs et d’éléments annexes.

 

 

Quelle est votre stratégie pour les retombées économiques locales du projet ?

K.I : Le premier axe de notre stratégie a été d’abord d’évaluer la capacité du tissu industriel local. Avec l’objectif de faire évoluer cette filière industrielle, en localisant au plus proche du parc éolien tout ou partie de la fabrication, du montage, des éoliennes, des flotteurs, et de tous les autres éléments. Le deuxième axe sur lequel on travaille aujourd’hui, encore une fois c’est l’identification des formations. Former des soudeurs offshore nécessite près d’une dizaine d’années. Si on ne commence pas maintenant, on ne sera pas prêts en 2028. Les Régions sont impliquées dans la formation mais également les syndicats professionnels comme le Medef, l’IUMM qui sont des relais importants.

 

A.D : Le succès de tous nos projets a toujours été étroitement lié à leur ancrage local. Cela a été encore le cas pour Hywind Tampen où l’engagement du tissu local a permis de construire cette ferme de 11 flotteurs en un temps très court. Nous avons adapté nos choix technologiques pour pouvoir créer des synergies avec le tissu local. On atteint ainsi un contenu local de plus de 50 %, sachant qu’il n’existe pas actuellement d’usines fabriquant des éoliennes en Norvège. C’est un retour d’expérience que nous allons partager cet été en France à l’occasion de conférences. Et c’est cette stratégie que nous souhaitons adopter pour ce projet en Sud Bretagne. Nous espérons que les autorités y seront sensibles, mais il est difficile d’allier cela à la conformité des règles de la concurrence européenne.

 

 

Avez-vous des attentes particulières de la part des acteurs industriels et institutionnels locaux ?

A.D : On a créé des partenariats avec des instituts de recherche et des organismes comme France énergie Marine, Neopolia, Pôle mer Bretagne Atlantique… On s’est engagé avec Neopolia, avant même la signature de la charte, à présenter nos activités liées à l’éolien offshore, et nos attentes pour ce projet. Nous travaillons également en étroite collaboration avec le Port de Saint-Nazaire, en partageant de façon très ouverte notre expérience.

Nous avons également lancé un appel à manifestation d’intérêt sur la sécurité maritime pour l’éolien flottant avec le Pôle mer Bretagne Atlantique. Nous parions sur une communication entre les clusters pour promouvoir ce type d’initiatives, car il s’agit d’un sujet d’intérêt général. Et nous comptons poursuivre dans cette voie avec la publication d’autres AMI sur des sujets connexes toujours d’intérêt général qui vont de pair avec le développement de nouvelles activités en mer.

Nous avons aussi organisé, avec la chambre de commerce franco-norvégienne et Bretagne Ocean Power, des rencontres BtoB assez réussies à Lorient. Nous avons également eu l’opportunité, grâce à Solutions&co, de rencontrer des entreprises des Pays de la Loire en septembre 2021, et de leur présenter notre consortium. Nous espérons pouvoir poursuivre ces rendez-vous B to B en Pays de la Loire, probablement en lien avec Neopolia. De façon générale, nous sommes prêts à partager notre expérience dans un souci de vulgarisation et d’éducation. C’est un des succès de l’acceptabilité. Nous le proposons à toutes les parties prenantes de ce genre de projet (les clusters industriels, les collectivités territoriales, les établissements scolaires…)

K.I : Ces rencontres BtoB nous paraissent importantes pour expliquer comment on envisage le projet en termes de calendrier pour que les acteurs industriels puissent avoir de la visibilité et se préparer au mieux à répondre à nos besoins industriels le moment venu.

 

 

Propos recueillis par Séverine Le Bourhis.